Cuadernos de Literatur a deL C aribe e Hi spanoamĂ©r iCa ‱ i ssn 1794-8 290 ‱ no. 22 ‱ JuLio -diCiem bre 201 5 ‱ 159 - 185
Kehinde/Dona Luisa/Luiza Mahin:
Kehinde/Dona Luisa/Luiza Mahin:
Les représentations
des femmes Noires
brésiliennes dans
Um Defeito de Cor
d’Ana Maria Gonçalves
Brasilian Black Women
Representations in
Um Defeito de Cor by
Ana Maria Gonçalves
Roseli Barbosa dos Reis*
Université Paris 8 Vincennes - Saint Denis, France
DOI: http://dx.doi.org/10.15648/cl.22.2015.10
Recibido: 6 de abril de 2015 * Aprobado: 23 de abril de 2015
* Roseli Barbosa dos Reis a un Master en Genre(s), PensĂ©e des diffĂ©rences, Rapports de sexe, de l’UniversitĂ©
Paris 8 Vincennes-Saint Denis. Ses domaines d’intĂ©rĂȘt sont les rapports entre littĂ©rature et fĂ©minisme, littĂ©rature
et société, littérature et représentation, et littérature et Histoire. Cet article est rattaché à la recherche conduisant
Ă  l’écriture de la mĂ©moire pour l’obtention du DiplĂŽme de Master Les chemins convergents de la rĂ©cupĂ©ration
des «oubliĂ©Es» de l’Histoire Ă  la mĂ©moire «dĂ©livrĂ©e»: Kehinde/Dona Luisa/Luiza Mahin: Les reprĂ©sentations
et le point de vue des femmes Noires brĂ©siliennes dans le roman «Um defeito de cor» d’Ana Maria Gonçalves.
Courrier Ă©lectronique: roseli.bareis@gmail.com
160
Resumen
La novela Um defeito de cor surge de un
contexto sociocultural, polĂ­tico de transi-
ciĂłn y de cambio de paradigmas de la
representaciĂłn de los Negros/Negras, lo
que nos permite destacar las posiciones
de los subalternos y de los dominantes.
Entre literatura e historia y por medio de
archivos recuperados sobre la esclavi-
tud, la vida del personaje de Kehinde,
una mujer africana esclavizada, es na-
rrada desde el enfoque de una escrito-
ra negra, rompiendo con el racismo, el
sexismo y el clasismo de una historio-
grafĂ­a literaria hegemĂłnica. Este artĂ­culo
problematiza la aportaciĂłn de la novela
a la (re)construcciĂłn social y a la repre-
sentaciĂłn de una nueva imagen y de
una nueva identidad sociocultural de las
mujeres negras brasileñas por medio de
la (re)visión de un pasado “olvidado” de
la cultura de origen africano a través del
proceso de recuperaciĂłn de la memoria
de la esclavitud.
Palabras clave
Mujer Negra, Memoria, Esclavitud, Ra-
cismo, Sexismo, Clasismo, Representa-
ciĂłn, Identidad.
Abstract
The novel Um defeito de cor emerges
in a sociocultural and political context
marked by transition and changes of
paradigms in the representation of Black
people that allows us to enlighten the
subaltern positions and the dominant
ones. Between literature and history,
through the recuperation of the memory
of slavery, the life of the character Ke-
hinde (an African enslaved woman),
narrated by the point of view of a Black
feminine writer, breaks with the racism,
sexism and classism of a literary hege-
monic historiography. This article prob-
lematizes the contribution of the novel to
the social (re)construction and the rep-
resentation of a new image and a new
sociocultural identity of Black Brazilian
women by means of the (re)vision of a
«forgotten» past of the originally African
culture, through the process of recupera-
tion of the memory of slavery.
Keywords
Black Woman, Memory, Slavery, Rac-
ism, Sexism, Classism, Representation,
Identity.
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KeHinde/dona Luisa/Luiza maHin: Les représentations des femmes noires brésiLiennes
dans Um Defeito De Cor d’ana maria GonçaLves
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Le canon littéraire brésilien est marqué par une présen-
ce masculine blanche. Quand on pense aux Ă©crivains, on
pense d’abord aux hommes et aprùs aux femmes blan-
ches. En dernier, on pense aux écrivaines brésiliennes
noires. Notre littérature fait émerger les rapports raciaux
de la sociĂ©tĂ©. Quand on est dans le champ ctionnel, ces
blessures apparaissent avec plus de véracité que dans le
propre texte de l’Histoire (Evaristo, in Antonio, 2011,
ma traduction).
C’est à partir de l’apparition en 1978 du MNU (Movimento Negro Unicado) qui
uniait tous les autres Mouvements Noirs et revendications antĂ©rieures, que l’on
voit émerger sur la scÚne politique brésilienne les premiÚres dénonciations du
racisme comme racine de l’inĂ©galitĂ© sociale et les premiĂšres demandes de rĂ©pa-
ration historique du passé esclavagiste et du présent discriminatoire que subissait
la population Noire
1
et afro-descendante. C’est aussi en 1978 que le FĂ©minisme
Noir brésilien émerge, au sein du MNU, en rajoutant à la lutte antiraciste la
dénonciation de la position des femmes noires à la base de la pyramide sociale,
dans une situation d’exclusion absolue, victimes à la fois du racisme, du sexisme
et du classisme. De ce fait, l’entrĂ©e dans le XXI
Ăšme
siÚcle sera marquée par des re-
vendications de ces mouvements sociaux articulĂ©es autour de l’implantation des
politiques de rĂ©parations historiques, mouvements appelĂ©s açÔes armativas, qui
revendiquent des mesures d’intĂ©gration et d’inclusion des sujets pĂ©riphĂ©riques
par l’égalitĂ©, Ă  la fois raciale, sociale, Ă©conomique, culturelle et par l’égalitĂ© des
droits. Ainsi, suite Ă  ces revendications historiques, le Parti des Travailleurs (PT)
au gouvernement a adoptĂ©, en 2003, la Loi 10.639/03, qui oblige l’enseignement
de l’Histoire
2
et de la culture afro-brésilienne et africaine dans les écoles primaire
et secondaire, publiques et privées.
Dans ce contexte de dés contre une normativité hégémonique, a émergé sur la
scĂšne littĂ©raire actuelle au BrĂ©sil, une multiplicitĂ© d’ouvrages qui Ɠuvrent pour la
1 J’utiliserai dans l’ensemble de cette Ă©tude le concept de NoirE(s), comme prise de conscience de l’auto-afrma-
tion de la «nĂ©gritude», structurĂ©e comme/articulĂ©e autour de l’identitĂ© politique d’un groupe minoritaire, dans
la lutte individuelle et collective/au sein des revendications individuelles et collectives contre les idéologies et
pratiques de l’hĂ©gĂ©monie Blanche. De ce fait, pour mettre en Ă©vidence l’appartenance ethnique et la racialisa-
tion des groupes, j’écrirais en majuscule les mots Noire, Noires, Noir, Noirs, Indien, Indienne ainsi que Blanche,
Blanches, Blanc, Blancs. Pour cette conceptualisation, je m’appuie sur les apports de Sabine Masson, et plus
spĂ©ciquement sur son analyse de l’étude de la pensĂ©e d’Ochy Curiel (Masson, 2005, pp.59-60).
2 L’emploi du mot Histoire en majuscule ou «avec un grand H», selon la conceptualisation d’Édouard Glissant
dans Le discours antillais (1997), fait rĂ©fĂ©rence Ă  la Science de l’Occident qui Ă©tudie les faits du passĂ© pour
raconter l’histoire (en minuscule - dans le sens de texte narratif) du monde.
roseLi barbosa dos reis
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crĂ©ation d’une nouvelle littĂ©rature brĂ©silienne avec l’intĂ©gration des productions
littéraires des afro-descendantEs
3
. C’est donc la naissance ofcielle du concept de
la littérature Noire et/ou de la littérature afro-brésilienne (Souza et Lima, 2006).
Mais qu’est-ce que la littĂ©rature Noire ou littĂ©rature afro-brĂ©silienne? Contraire-
ment au canon littĂ©raire qui se prĂ©tend universel, avec l’emploi de la notion de
littĂ©rature brĂ©silienne, la production littĂ©raire des afros-descendantEs s’afrme Ă 
travers la revendication d’un sujet situĂ© parmi des «minoritĂ©s» opprimĂ©es. Selon
Florentina de Souza et Maria Nazaré Lima (2006), la littérature Noire et/ou litté-
rature afro-brĂ©silienne ne se construit pas seulement par l’attachement Ă  l’origine
ethnique des écrivainNEs, mais surtout par les caractéristiques qui composent
leurs productions textuelles, comme, par exemple, l’engagement dans la tradition
historique et culturelle africaine au Brésil et les expériences vécues au quotidien
par les afro-descendantEs brésilienNEs.
C’est dans ce contexte de transition et «dans cet espace littĂ©raire sous la pres-
sion du rĂ©el historique» (Campos, 2012, p.105) qu’est publiĂ© en 2006 le roman
Um defeito de cor
4
d’Ana Maria Gonçalves
5
, une Ɠuvre pionniùre qui, à travers
un processus de retour Ă  un passĂ© inconnu de la majoritĂ©, raconte l’Histoire de
l’esclavage depuis le point de vue d’une femme Noire. Sur 951 pages, UDC
6
s’approprie la biographie lĂ©gendaire de l’africaine Luiza Mahin, Ă©crite par son
ls –l’abolitionniste et poĂšte Luiz Gama–. Le rĂ©cit de Gonçalves raconte, Ă  la
premiĂšre personne, l’histoire de la vie de Kehinde, nĂ©e en 1810 Ă  Savalou dans
l’ancien royaume du Dahomey en Afrique. Son histoire dĂ©bute, alors qu’elle est
ùgée de huit ans, par la tragédie de la violence des guerres tribales en Afrique
qui a abouti à l’assassinat de son petit frùre et au viol suivi de l’assassinat de sa
3 Il a toujours existé des productions littéraires des afro-descendantEs, cependant ces ouvrages étaient surtout
aux milieux militants appartenant aux mouvements Noirs et Féministes Noir brésiliens, ce qui rendaient leur
accĂšs difcile. En effet, depuis 1978, la publication des Cadernos Negros ouvre un important espace dĂ©diĂ© Ă  la
publication d’une anthologie annuelle qui regroupe des poĂšmes et des contes d’écrivainEs afro-brĂ©silienNEs.
Voir Palmeira (2011).
4 Choisi parmi 493 romans, le chef d’Ɠuvre d’Ana Maria Gonçalves a gagnĂ©, en 2007 Ă  Cuba le prix Casa de
las AmĂ©ricas dans la catĂ©gorie roman brĂ©silien. À prĂ©sent avec sa sixiĂšme Ă©dition, le roman a toujours un grand
succĂšs et sera bientĂŽt traduit pour la premiĂšre fois en anglais.
5 Ana Maria Gonçalves est nĂ©e Ă  Ibia, dans l’État du Minas Gerais au BrĂ©sil en 1970. DiplĂŽmĂ©e en publicitĂ©, elle
a exercĂ© son mĂ©tier dans la ville de SĂŁo Paulo jusqu’en 2002 quand, fatiguĂ©e du stress du milieu publicitaire,
elle dĂ©cide de changer de vie et d’abandonner cette carriĂšre pour Ă©crire un roman. L’auteure s’installe la mĂȘme
annĂ©e dans la ville d’Itaparica dans l’État de Bahia, oĂč aprĂšs deux annĂ©es de recherches elle commence Ă  Ă©crire
le roman Um defeito de cor. Toutefois, avant mĂȘme l’achĂšvement de celui-ci, Ana Maria Gonçalves Ă©crit en cinq
mois, un autre roman, Ao lado e Ă  margem do que sentes por mim, plutĂŽt autobiographique et intimiste, roman
qui est publié de façon indépendante en 2002. Finalement, suite à la publication du roman Um Defeito de Cor,
l’auteure est invitĂ©e Ă  enseigner Ă  l’universitĂ© de New Orleans, aux États Unis, oĂč elle a travaillĂ© pendant huit
ans. De retour au BrĂ©sil, l’écrivaine vit, jusqu’à ce jour, dans la ville de Salvador, dans l’État de Bahia.
6 J’emprunterai l’abrĂ©viation UDC pour le roman Um defeito de cor.
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KeHinde/dona Luisa/Luiza maHin: Les représentations des femmes noires brésiLiennes
dans Um Defeito De Cor d’ana maria GonçaLves
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mÚre commis par les guerriers du roi, en représailles aux pratiques vaudou de
la grand-mĂšre de Kehinde. Suite Ă  cette tragĂ©die, Kehinde, sa sƓur jumelle et
sa grand-mÚre sont capturées et se retrouvent dans des conditions inhumaines à
bord d’un bateau nĂ©grier. Pendant la traversĂ©e de l’Atlantique, la sƓur ainsi que
la grand-mÚre décÚdent et Kehinde arrive seule au Brésil.
Tout au long du roman, le lecteur accompagne, pendant presque un siÚcle, le récit
de la vie de Kehinde, jusqu’à sa mort, tout en sachant qu’elle est en train d’écrire
son histoire, comme si c’était une histoire orale racontĂ©e Ă  travers une rĂ©cupĂ©ra-
tion de la mĂ©moire. Le rĂ©cit est ponctuĂ© de ash back et chaque passage fait Ă©cho
Ă  un autre passage de l’avenir ou du passĂ©. Cette uiditĂ© du temps xe et dĂ©tache
le personnage, dans une histoire dĂ©diĂ©e et adressĂ©e Ă  son deuxiĂšme ls, l’en-
fant disparu, homonyme ctionnel qui, dans le rĂ©el, correspond Ă  l’abolitionniste
Luiz Gama
7
. Ainsi, Kehinde qui plus tard, de retour en Afrique, deviendra dans
la ction Dona Luisa, intervient dans l’imaginaire rĂ©el comme reprĂ©sentation de
Luiza Mahin, une gure emblĂ©matique de la mĂ©moire collective de l’esclavage
et de la rĂ©sistance dans la culture afro-brĂ©silienne. C’est ainsi que le roman donne
vie Ă  cette femme qui aurait probablement participĂ© Ă  l’organisation de la RĂ©volte
des MalĂȘs (1835) –les esclaves musulmans– et du soulĂšvement connu comme la
Sabinada (1837-1838), Ă©pisodes que l’Histoire ofcielle n’a pu expliquer jusqu’à
prĂ©sent qu’à travers les Ă©crits de Luiz Gama.
Les seuls registres qui attestent l’existence de Luiza Mahin sont: un poùme inti-
tulé «Minha Mãe» [«Ma MÚre»] et une lettre autobiographique de Luiz Gama,
adressée à son ami, le poÚte et abolitionniste Lucio de Mendonça, les deux pu-
bliés respectivement en 1861 et 1880. Le poÚme «Minha Mãe» a été joint à la
lettre adressĂ©e Ă  Mendonça, prĂ©cisant qu’il a Ă©tĂ© Ă©crit pendant le retour de Gama
de Rio de Janeiro, au cours du dernier voyage effectué pour retrouver une trace
de sa mùre. N’ayant pas eu de succùs dans sa recherche, le poùte afrme avoir
écrit ce poÚme en dédicace à sa mÚre perdue à jamais. Or, la mÚre sublime, rési-
7 Luiz Gonzaga Pinto de Gama (1830-1882), connu sous le nom de Luiz Gama, a été vendu illégalement à
Salvador de Bahia comme esclave Ă  l’ñge de dix ans par son pĂšre, un portugais de nom inconnu, laissĂ© dans
l’anonymat par la volontĂ© dĂ©clarĂ©e de son ls. Luiz Gama ayant appris Ă  lire et Ă  Ă©crire pendant sa captivitĂ© avec
un Ă©tranger hĂ©bergĂ© dans l’auberge de son maĂźtre, il rĂ©unit, Ă  l’ñge de dix-sept ans, les preuves nĂ©cessaires pour
dĂ©montrer l’illĂ©galitĂ© de sa vente, ouvre un procĂšs judiciaire Ă  l’issue duquel il obtient gain de cause et redevient
un homme libre. Gama, intellectuel autodidacte, a su franchir diverses barriùres et devenir rabula –avocat sans
diplĂŽme–, prĂ©curseur de l’abolitionnisme au BrĂ©sil, fondateur de la maçonnerie AmĂ©rica, journaliste et grand
prĂ©curseur de la poĂ©sie satirique du romantisme brĂ©silien. Connu Ă  son Ă©poque comme «l’avocat des esclaves»,
il a permis la libération de plus de cinq cents esclaves, selon les registres juridiques. De son vivant, Gama était
célÚbre, considéré comme un fervent, incorruptible et infatigable avocat, qui plaidait les causes justes, non
seulement des esclaves mais aussi de femmes et d’hommes et dĂ©munis (Ferreira, 2012).
roseLi barbosa dos reis
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gnée, douce, esclave souffrante, chrétienne et anonyme du poÚme est une femme
complĂštement Ă  l’opposĂ© de la mĂšre Luiza Mahin, celle qui gure dans la lettre
considérée comme autobiographique de Luiz Gama, utilisée comme symbole de
la résistance féminine Noire par les féministes Noires brésiliennes:
Je suis le fils naturel d’une noire, africaine libre, de la Cîte de
Mina (NagÎ de nação), nommée Luiza Mahin, païenne, qui a
toujours refusĂ© le baptĂȘme et la doctrine chrĂ©tienne. Ma mĂšre
Ă©tait petite de taille, mince, belle, d’une couleur noire foncĂ©e, elle
avait les dents trĂšs blanches comme la neige, elle Ă©tait trĂšs hau-
taine, avec un fort caractĂšre, non souffrante et vengeresse. Elle
Ă©tait douĂ©e pour le commerce – elle Ă©tait quitandeira, trĂšs travail-
leuse, et plus d’une fois elle a Ă©tĂ© emprisonnĂ©e car suspectĂ©e
d’ĂȘtre impliquĂ©e dans les stratĂ©gies d’insurrection des esclaves
qui n’ont pas rĂ©ussi. (Moura, 2004, p.168, ma traduction)
Luiza Mahin a tout d’abord un prĂ©nom et un nom, elle a une origine, un lieu de
naissance, une culture, un mĂ©tier et une cause pour laquelle elle s’est engagĂ©e
politiquement. Ce n’est donc plus l’esclave chosiée mais le sujet de sa propre
histoire. C’est une femme libre, travailleuse, paĂŻenne, en bonne santĂ© et qui a
toujours refusĂ© le baptĂȘme et la religion chrĂ©tienne. Luiza Mahin est l’incarna-
tion de la gure rebelle et rĂ©sistante, c’est une activiste abolitionniste engagĂ©e
dans les révoltes, et pour cela elle incarne le contre-modÚle de la féminité et des
archétypes féminins de la femme Blanche.
Dans le roman UDC, l’identitĂ© de Luiza Mahin n’est jamais ouvertement dĂ©voi-
lée. Cependant, le personnage de Kehinde, surtout pendant la période de sa vie
d’adulte au BrĂ©sil, est Ă©laborĂ© avec des Ă©lĂ©ments et des caractĂ©ristiques attribuĂ©s
Ă  la vie de Luiza Mahin. Kehinde et son ls Omotunde portent les prĂ©noms ca-
tholiques Luisa et Luis, noms qui correspondent respectivement Ă  leurs homo-
nymes rĂ©els. Par ailleurs, Kehinde est louĂ©e en tant qu’esclave de gain comme
quitandeira, vendeuse de gùteaux dans la rue, puis achÚte sa liberté et celle de
son ls BanjokĂŽ, enfant issu d’un viol et qui meurt tĂŽt dans le rĂ©cit. Ainsi, dĂ©jĂ 
sur les terres brésiliennes, le personnage devient une prospÚre commerçante bou-
langÚre et aussi engagée dans la vente de tissus et de tabac entre le Brésil et
l’Afrique. En outre, Kehinde participe directement ou indirectement Ă  la RĂ©volte
de MalĂȘs et Ă  la Sabinada. Ainsi, la mĂšre Luiza Mahin – qui dans la lĂ©gende de la
lettre de Gama est une femme libre, rebelle, insoumise, vengeresse, qui participe
aux rĂ©voltes d’esclaves – dans le roman assume d’autres postures plus prĂŽches
du personnage élaboré par le poÚme de Gama.
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KeHinde/dona Luisa/Luiza maHin: Les représentations des femmes noires brésiLiennes
dans Um Defeito De Cor d’ana maria GonçaLves
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Le personnage de Kehinde raconte la vie d’une mùre à la recherche de son ls
perdu et qui, à la n de sa vie, mourra lors de son voyage sur l’Atlantique, sur
le chemin du retour au BrĂ©sil alors qu’elle est Ă  la recherche de son ls, Luiz
Gama, devenu un avocat abolitionniste reconnu parce qu’il plaide pour libĂ©rer
les esclaves. C’est en tant que gure fondamentale omniprĂ©sente dans l’histoire
de la vie de sa mĂšre que Luiz Gama apparaĂźt en tant que personnage ctionnalisĂ©
dans le roman Um defeito de cor. En rĂ©alitĂ©, l’Histoire ofcielle a perdu la trace
de Luiza Mahin. Celle-ci n’a survĂ©cu que par le rĂ©cit de son ls. Cependant, dans
l’autobiographie mĂ©tactionnelle du roman, c’est par l’histoire de la vie de sa
mùre Kehinde/Dona Luisa que l’abolitionniste apparaüt.
En tant que mĂ©taction historiographique et/ou rĂ©alisme ctionnel, UDC est le
premier chef d’Ɠuvre brĂ©silien qui recueille divers Ă©vĂ©nements historiques, en
(dĂ©s)accord avec les rĂ©cits prĂ©sents dans l’historiographie littĂ©raire ofcielle, et
ce à travers la voix subalterne de la conscience d’une esclave. Selon Jacomel
(2007), qui s’appuie sur les thĂ©ories de Linda Hutcheon, la mĂ©taction historio-
graphique, contrairement au roman historique, est un genre par lequel la création
littĂ©raire s’approprie des personnages et/ou des faits historiques pour raconter le
rĂ©cit Ă  travers le questionnement de faits perçus comme des vĂ©ritĂ©s. De mĂȘme,
la notion de rĂ©alisme ctionnel employĂ©e par Lucie Campos (2012) rejoint celle
de mĂ©taction historiographique et apporte l’idĂ©e de responsabilitĂ© historique
de l’auteurE, lorsqu’une Ɠuvre Ă©merge contrainte par le contexte de la violence
historique, lorsqu’une Ɠuvre prend en compte cette violence et la situe dans un
espace-temps prĂ©cis, et lorsque l’Ɠuvre littĂ©raire se positionne par rapport Ă  une
conscience historique collective. D’aprùs Campos (2012), cela remet en cause
le rĂŽle de la littĂ©rature face Ă  l’Histoire et donc le rapport entre l’Histoire et la
ction; ce qui, par la contrainte, Ă©tablit un nouveau rapport au rĂ©el.
Racisme et Sexisme: La culture littéraire et les corps des femmes Noires
Le rĂŽle des femmes noires dans la formation de la cul-
ture nationale est niĂ©. L’inĂ©galitĂ© entre hommes et fem-
mes est érotisée. La violence sexuelle contre les femmes
noires a Ă©tĂ© transformĂ©e en «histoire d’amour». (Carnei-
ro, 2005, p.27)
Au l de l’historiographie littĂ©raire brĂ©silienne, on constate que les rares Ă©crivains
Noirs dont les Ɠuvres font partie du canon littĂ©raire ont Ă©tĂ©s assimilĂ©s au discours
du prétendu savoir-faire universaliste. Selon Ria Lemaire (1994, p.59, ma tra-
duction), de cette maniĂšre: «Les Ă©crivains nient l’impact des structures sociales
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dans l’ensemble de leurs Ɠuvres, ce qui dissimule les complexitĂ©s des rapports
entre la littĂ©rature et la sociĂ©tĂ© et empĂȘche la perception du rĂŽle des idĂ©ologies
dans les Ɠuvres littĂ©raires et dans l’ensemble de la sociĂ©té». De plus, la littĂ©rature
canonique démontre que les hommes Noirs et les femmes Noires sont toujours
dĂ©critEs Ă  la troisiĂšme personne, Ă  travers le point de vue de l’homme Blanc. Par
consĂ©quent, d’une part, lorsque les Ă©crivains Noirs sont reconnus, leur couleur
de peau est masquĂ©e et d’autre part, les Ă©crivaines Noires sont exclues du canon
littéraire
8
. En revanche, les personnages de femmes Noires ont été surexposés par
le biais de la chosication en tant qu’objets sexuĂ©s.
À partir du XIX
Ăšme
siĂšcle, l’époque oĂč la littĂ©rature brĂ©silienne a jouĂ© un rĂŽle cru-
cial dans la formation de l’opinion, les femmes mĂ©tisses Noires (la mulata)
9
et
Indiennes
10
deviennent les protagonistes de plusieurs ouvrages. Cependant, l’hĂ©-
roĂŻne mulata, mĂȘme lorsqu’il s’agit du personnage principal du rĂ©cit, n’est jamais
un agent actif mais toujours un agent passif, qui reste Ă  la marge du roman. Le
canon littĂ©raire brĂ©silien tĂ©moigne souvent de l’immoralitĂ© des femmes Noires,
en représentant une série de mulatinhas (petites mulùtresses) qui incarnent sou-
vent la sensualité, la beauté physique, la danse, la joie de vivre (Queiroz Junior,
1975), mais également de la dégénération de la société, des pathologies sociales,
des maladies, des femmes lubriques et stériles, des prostituées, des adultérines
intĂ©ressĂ©es par l’ascension sociale Ă  travers l’exploitation de l’homme Blanc
(May, s.d.). Ainsi, par le recours au symbolique, on construit une société fondée
sur le mythe du paradis terrestre: «un lieu bĂ©ni de Dieu, pacique, ayant une
belle nature tropicale et oĂč l’on voit le corps des femmes Noires comme sensuel
et pittoresque» (Santos, 2004).
En outre, les personnages des mulatas tĂ©moignent de l’introduction d’une sup-
posĂ©e culture et d’un idĂ©al fĂ©minin «typique» du BrĂ©sil. Bien qu’issue d’un ra-
8 De la publication du roman Ursula de Maria Firmina dos Reis en 1859 jusqu’en 2012, la scĂšne littĂ©raire des
romanciÚrEs brésilienNEs a été composée de six écrivaines Noires à peine. La derniÚre romanciÚre afro-descen-
dante à paraßtre sur cette scÚne hégémonique a été Ana Maria Gonçalves.
9
Du précurseur Grégorio de Matos (1633-1696) au sommet avec Jorge Amado (1912-2001), cet écrivain a été
incontestablement celui qui a le plus exploitĂ© les gures des mulatas tout au long du XX
Ăšme
siùcle. Son Ɠuvre a
beaucoup contribué et contribue encore à la consolidation de la stigmatisation de la femme Noire/Métisse telle
qu’elle est Ă©tablie de nos jours. Jorge Amado a dĂ©diĂ© une grande partie de sa vie Ă  crĂ©er ce genre de personnage
et il est arrivé au sommet de ses productions littéraires avec le personnage de Gabriela dans le roman Gabriela,
giroe et cannelle. L’analyse de cet ouvrage a fait l’objet de mon mĂ©moire de MaĂźtrise. Voir Ă  ce sujet Barbosa
dos Reis (2010).
10 La gure de l’Indienne virginale apparaĂźt en 1864 avec l’ouvrage Iracema, a virgem dos labios de mel Ă©crit
par José de Alencar (1829-1877). Toutefois, les premiÚres apparitions des femmes Indiennes dans les récits
coloniaux datent du XVIÚme siÚcle. Elles renvoient alors une image de femmes dénudées, lubriques et légÚres,
cĂ©dant facilement Ă  l’amour charnel avec l’homme Blanc. Voir Ă  ce sujet Caldas Torres (2006).
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cisme à peine voilé, la présence de personnages de femmes métisses, ainsi que
leurs corps, sont instrumentalisés par la société brésilienne et vus comme une
conrmation de l’existence d’une prĂ©tendue «dĂ©mocratie raciale» Ă  travers le
mĂ©tissage (Freyre, 1974). Contrairement Ă  l’idĂ©e exotique d’une supposĂ©e dĂ©-
mocratie raciale par un mĂ©tissage paisible, et en opposition aux stĂ©rĂ©otypes – de
promiscuitĂ© et de lascivitĂ©, de dĂ©esses qui enchantent les hommes Blancs – dont
les femmes Noires brĂ©siliennes font historiquement l’objet, le roman UDC tĂ©-
moigne de la fragilité de ces femmes. En effet, dans le contexte esclavagiste,
leurs corps Ă©taient prĂ©sentĂ©s comme le lieu oĂč tous les sadismes sont permis
de la part des maĂźtres et des maĂźtresses, y compris les violences sexuelles sys-
tĂ©matiques. L’une des scĂšnes les plus effrayantes du roman est celle du viol de
Kehinde, ĂągĂ©e de seulement treize ans, et de son ancĂ©, l’esclave Lourenço, pra-
tiquĂ© par leur maĂźtre. Lourenço sera en plus castrĂ© pour avoir dĂ©fendu sa ancĂ©e
lors de la premiÚre tentative de viol et avoir fugué avec elle (pp.170-171). Selon
Angela Davis (1983, p.221):
La violence sexuelle Ă©tait l’une des dimensions essentielles des
relations sociales entre maütre et esclave. En d’autres termes,
le viol que s’octroyaient les propriĂ©taires d’esclaves sur le corps
des femmes noires n’était autre que l’expression de leur prĂ©tendu
droit de propriété sur le peuple noir dans son ensemble. Le droit
de violer Ă©manait de cette impitoyable domination Ă©conomique et
la favorisait: elle Ă©tait la marque infamante de l’esclavage.
Kehinde, silencieuse dans la cabane, attendant son maĂźtre violeur, pense au contre-
maĂźtre qui l’a emmenĂ©e lĂ -bas en lui conseillant de se tenir calme et d’attendre.
Ses pensĂ©es vont du contremaĂźtre avait l’air habituĂ© Ă  faire cela Ă  Verenciana, la
belle esclave mĂ©tisse qui a eu les yeux arrachĂ©s par la maĂźtresse parce qu’elle
était tombée enceinte du maßtre (p.106), et à toutes les autres femmes qui ont été
obligĂ©es d’ĂȘtre lĂ -bas «avec le dĂ©sir de faire plus que simplement attendre, mais
sans savoir quoi faire, car enn on s’attend à ce que nous nous conformions avec
le fait que la vie se passe ainsi» (p.168)
11
. Kehinde, dans le navire négrier, pensait
qu’elle allait devenir de la viande de mouton et ĂȘtre mangĂ©e par les Blancs; en
effet, lors de son viol elle dira: «lui, le maĂźtre, rentre dans mon vagin comme s’il
Ă©tait en train de saigner un mouton» (p.170). Le personnage du roman conrme
la pensĂ©e d’Angela Davis quant au viol des femmes Noires dans le systĂšme es-
11 Toutes les traductions du roman de Gonçalves sont miennes.
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clavagiste qui Ă©tait institutionnalisĂ© comme s’il s’agissait d’une extension des
droits absolus dont les maĂźtres disposaient sur les corps de femmes Noires, leurs
esclaves. Par ailleurs, le maßtre, sinhÎ José Carlos, dit à Kehinde avant de la
violer que: «la virginitĂ© des nĂ©gresses qu’il achetait lui appartenait, et que ce ne
serait pas un sale nĂšgre quelconque qui se croyait bien brave qui allait le priver de
ce droit» (p.170). Selon Santos (2004), la femme Noire est stigmatisée comme un
contre-modĂšle de la femme Blanche. Elle apparaĂźt d’un cĂŽtĂ© comme une icĂŽne de
la dĂ©sharmonie et de l’autre comme une façon de maintenir et «protĂ©ger la puretĂ©
sexuelle» des femmes Blanches.
Or, le BrĂ©sil est un pays qui s’est construit autour d’un mĂ©tissage, arbitraire et for-
cĂ©, des populations. C’est notamment par les viols systĂ©matiques perpĂ©trĂ©s contre
les femmes Noires (et les femmes Indiennes), et par les politiques d’inspiration
eugĂ©niste de limpar o sangue – c’est Ă  dire le blanchiment de la population –
que l’idĂ©al de la nation mĂ©tisse se concrĂ©tise et s’impose Ă  travers l’idĂ©ologie
dominante du mythe de la démocratie raciale, surtout développée par Gilberto
Freyre (1974).
En outre, dans la continuité de la lignée stéréotypée de la représentation des
femmes Noires, Ă©merge l’Ɠuvre de Monteiro Lobato (1882-1948), Ă©crivain consi-
dĂ©rĂ© comme le pĂšre de la littĂ©rature infantile brĂ©silienne. L’un de ses personnages
parmi les plus connus est celui de Tia Nastacia, incarnation du stéréotype de la
mãe preta, version brésilienne de la Mammy afro-américaine. Elle représente la
domestique, la cuisiniĂšre, la nurse sans famille vivant dans la famille des maitres
ou patrons. Ce stéréotype qui représente les femmes Noires empreint de virilité
et de laideur et associé à une odeur trÚs forte suscite le rejet (Martinkus-Zemp,
1973). Paradoxalement, elle est présentée comme «bien aimée», «respectée» et
«intégrée» au sein de la famille Blanche (Freyre, 1974). Tia Nastacia raconte des
histoires orales, elle est dĂ©crite d’une façon bestiale et infantile. En «bon sau-
vage» qui ne maĂźtrise pas l’écriture et par consĂ©quent la culture rationnelle, elle
voit donc le monde à travers une religiosité superstitieuse, témoignant ainsi que
les NoirEs sont dépasséEs par la société moderne: «Je ne supporte ces histoires
que pour Ă©tudier l’ignorance et la bĂȘtise du peuple [...]. Elles me semblent vrai-
ment trĂšs grossiĂšres et mĂȘme barbares – juste bon pour des nĂ©gresses Ă  la lĂšvre
pendante, comme Tia Nastacia» (Lajolo, 2003, p.192).
En utilisant les concepts d’Antonio Gramsci, je constate que les Ă©crivains brĂ©-
siliens, en tant qu’intellectuels organiquement reliĂ©s Ă  la classe dominante, as-
sument le rĂŽle de porteurs de l’hĂ©gĂ©monie et par consĂ©quent, des organisateurs
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de la coercition que leur classe exerce sur les autres classes (Piotte, 1970).
En
revanche, dans le roman UDC, Ă  part Kehinde, le personnage de la Negra Florin-
da assume le rîle d’expliquer les signications des religions d’origine africaine
de façon pédagogique. Elle est une ancienne esclave affranchie et vodunsi, nom
donnĂ© aux prĂȘtresses dans le culte du vaudou au dieu Dan, le Grand Serpent
(p.83). Ce personnage reprĂ©sente une gure de la tradition religieuse africaine et
afro-brésilienne, incarnée par des esprits de vieilles/vieux esclaves (preta velha/
preto velho), qui, par la patience, l’humilitĂ© et la connaissance des plantes mĂ©di-
cinales, racontent les histoires de leurs origines africaines et celles la souffrance
de la captivitĂ©. C’est donc, jusqu’à prĂ©sent, un rĂŽle de transmission des expĂ©-
riences vécues liées à des symboles et à des légendes de la mythologie africaine
et afro-brésiliennes, de traditions orales. Finalement Negra Florinda est une fa-
çon de représenter le personnage de Tia Nastacia, sans les connotations de pré-
jugés raciaux employés par Lobato. De ce fait, pour Patricia Hill Collins (2008),
féministe africaine-américaine, il est fondamental de prendre en compte le point
de vue des femmes Noires, situé depuis expériences vécues, pour raconter leur
propre histoire.
Or, d’aprĂšs les points de vue des Ă©crivains hommes, les reprĂ©sentations des
femmes Noires du canon littéraire sont attachées et enfermées dans les plus divers
stĂ©rĂ©otypes sexistes, qui emploient la mĂȘme structure sociale du dicton populaire
qui date
de l’époque coloniale: «La blanche pour marier, la mulĂątresse pour for-
niquer et la noire pour travailler» (Freyre, 1974). Cette conceptualisation arché-
typale, employĂ©e dans l’historiographie littĂ©raire, stigmatise toutes les femmes
en les enfermant dans des rĂŽles sexistes, essentialistes et racistes. Par ailleurs, les
femmes sont montrées les unes contre les autres, manipulées par une domination
masculine qui s’exprime par le «consensus de l’association classique du corps
féminin associé au désir masculin» (Schmidt, 2009). Ainsi, le roman UDC est un
récit qui raconte les expériences des femmes, selon leur propre point de vue et
qui permet de briser ce cercle littéraire masculin que Ria Lemaire dénit comme
paternité culturelle; cette autorité est fondée sur des mécanismes qui excluent
tout élément passible de perturber le monopole masculin (Lemaire, 1994).
Nous, les femmes Noires: Le contingent des femmes «en dehors»
Nous, les femmes noires, nous faisons partie d’un con-
tingent de femmes [
] qui ont travaillé pendant des siÚ-
cles comme esclaves, labourant la terre ou arpentant les
rues comme vendeuses ou comme prostituĂ©es – de fem-
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mes qui ne comprenaient absolument pas les discours
des féministes arguant que les femmes devaient sortir
dans la rue et travailler! (Carneiro, 2005, p.28)
Les femmes Noires, tout comme les hommes Noirs, se sont organisées dÚs
l’époque de l’esclavage, de maniĂšre associative par le biais de l’union raciale,
contre le prĂ©jugĂ© racial et en faveur des intĂ©rĂȘts communs du groupe (Domin-
gues, 2003). À l’époque de l’esclavage ils/elles se sont toujours retrouvĂ©s, dans
des associations noires, quilombos et des confréries à caractÚre culturel, à travers
les manifestations religieuses et ludiques de danse, chants et autres mouvements
de résistance. Ils ont également su se regrouper autour de thématiques socio-éco-
nomiques en mettant en place un systĂšme de coopĂ©ratives qui faisaient des prĂȘts
pour le paiement des affranchissements (Domingues, 2003). Cette organisation
des esclaviséEs est décrite tout au long du récit UDC. Dans le récit, malgré la
captivité, les esclaves étaient des sujets propres, ils gardaient donc entre eux
leurs différences individuelles et collectives, ce dont témoigne le récit en parlant
des diverses associations crĂ©Ă©es autour de diffĂ©rents facteurs unicateurs comme
la culture, la religion, l’ethnie et le sexe.
Les femmes Noires brésiliennes ayant en commun avec les hommes Noirs
l’expĂ©rience coloniale de l’esclavage et de l’oppression du racisme et avec les
femmes Blanches l’oppression du sexisme, la question qui se pose est de savoir
s’il y a, dans UDC, une diffĂ©rence entre l’oppression subie par les hommes et
par les femmes Noires; de mĂȘme, les femmes Noires subissent-elles la mĂȘme
oppression que les femmes Blanches? Preuve d’un racisme Ă  peine dissimulĂ©,
et en relation parallĂšle avec la stigmatisation des femmes Noires, on trouve les
personnages des hommes Noirs dans l’ensemble des ouvrages du canon, toujours
reprĂ©sentĂ©s par les stĂ©rĂ©otypes du Pai JoĂŁo (l’oncle Tom) – celui qui est serviable
et intelligent (le Noir à l’ñme Blanche) – du Noir quilombola (le marron) qui, à
l’inverse, est violent, rĂ©voltĂ© et dont il faut se mĂ©î‚żer, et du mulato (le mĂ©tis) qui
reprĂ©sente l’indolence, la dĂ©viance, le caractĂšre nĂ©faste et la pathologie sociale.
NĂ©anmoins, dans UDC, Kehinde apprend Ă  lire et Ă  Ă©crire, grĂące Ă  Fatumbi, es-
clave muçurumin (musulman), professeur de la lle du maĂźtre, qui a contournĂ©
la loi de l’esclavage en enseignant à une enfant esclave (p.92). Ce premier acte
de rĂ©sistance Ă©tablit le lien d’amitiĂ© entre les deux personnages. Ce lien sera par
la suite fondamental pour les activités politiques de Kehinde, qui deviendra ré-
sistante, engagée dans la lutte de libération des esclaves (p.492). Cette lutte sera
amorcée par les esclaves muçurumins qui représentent, les piliers de la prise de
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conscience et de l’organisation politique des esclaves contre le systùme escla-
vagiste. Aussi, les muçurumins se distinguent surtout par leurs occupations et
fonctions plus intellectuelles et par le fait de ne jamais s’adresser directement
aux femmes (p.137). Avec le temps, Kehinde rompt ces barriĂšres et est ĂȘtre ac-
ceptée parmi eux. Cependant, étant une femme, elle ne sera jamais complÚte-
ment intĂ©grĂ©e aux projets politiques, rĂ©servĂ©s aux hommes, comme l’illustrent
les Ă©vĂ©nements du chapitre intitulĂ© «Incidents» qui raconte l’emprisonnement
de Alufa Licutan, l’un des chefs spirituels et religieux les plus importants et ap-
prĂ©ciĂ©s des muçurumins et l’un des organisateurs fondateurs de la RĂ©volte: «Les
muçurumins étaient encore plus révoltés, et il a été nécessaire de convoquer une
rĂ©union pour qu’ils dĂ©cident de ce qu’ils devaient faire [
]. J’aurais bien aimĂ©
participer, mais seuls les hommes ont été convoqués» (p.511). Dans le récit, non
seulement Kehinde a Ă©tĂ© Ă©cartĂ©e des dĂ©cisions politiques dans l’organisation de
la Révolte, mais en général la place occupée par les femmes muçurumins rap-
pelle l’ordre du systùme patriarcal Blanc car elles sont dans des rîles secondaires
en tant que bonnes épouses, en charge des tùches ménagÚres, occupées par des
grossesses à répétition, souvent séparées des hommes, mais toujours soumises à
leur décisions:
Mais elles [Fatima, Binta et Safyia; les femmes muçurumins] sont
rentrĂ©es immĂ©diatement car les hommes ont demandĂ© qu’elles
restent dans notre maison jusqu’à ce qu’ils viennent les appe-
ler. [
] Elles savaient plus de choses que moi, mais elles se
taisaient, peut-ĂȘtre parce qu’elles Ă©taient habituĂ©es Ă  ne jamais
ĂȘtre entendues, ou par loyautĂ©, ne se sentant pas dans le droit de
commenter quelque chose qu’elles avaient entendu seulement
parce qu’elles occupaient la mĂȘme maison que les principaux
organisateurs. (p.511)
Selon bell hooks (2014), dans le systùme esclavagiste, aux États-Unis, le traite-
ment raciste destiné aux hommes Noirs et aux femmes Noires était inégal et pas
seulement on se qui concerne le travail. En effet il y avait plusieurs tĂąches que
les hommes esclaves n’effectuaient pas car elles Ă©taient considĂ©rĂ©es de l’ordre
du féminin. Par contre les femmes Noires esclavisées ont toujours travaillé dans
les champs agricoles et effectuĂ© les tĂąches les plus dures, mĂȘme pendant leurs
grossesses, sans que leur sexe ne soit pris en compte. En plus, Ă  cause de la divi-
sion sexuelle du travail, les femmes esclaves n’étaient jamais affectĂ©es, par leurs
maßtres, aux rares postes de pouvoir toujours réservés aux hommes esclaves.
D’aprĂšs hooks (2014, p.33, ma traduction), «dans la sub-culture des esclaves
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noirs les rĂŽles sexuĂ©s reîƒ€Ă©taient le patriarcat blanc». Ainsi, d’aprĂšs hooks, et
en accord avec UDC, c’est la femme Noir qui, au sein de leur famille, faisait la
cuisine, nettoyait leurs cabanes et s’occupait des besoins des enfants, car pour les
hommes Noirs c’était le travail de la femme.
L’intersection de rapports sociaux de domination de race, de classe et de genre
(Crenshaw, 2002) forge une relation ambigĂŒe et conictuelle entre les femmes
Noires et les hommes Noirs. En effet, ces derniers sont Ă  la fois des frĂšres de
lutte contre l’oppression du racisme, mais ils sont simultanĂ©ment aussi des op-
presseurs sexistes des femmes Noires. Ce phĂ©nomĂšne est dĂ©montrĂ© dans l’en-
semble des récits des féministes et/ou écrivaines Noires, et notamment dans le
roman UDC. Dans le rĂ©cit, l’esclave Raimundo s’est louĂ© Ă  sa maĂźtresse sinha
Ana Felipa et travaillait comme escravo de ganho (esclave de gain). C’est alors
qu’il connaüt une femme esclave de gain comme lui, dont il tombe amoureux.
Raimundo achÚte la liberté de cette esclave, croyant à la promesse de la femme
qu’une fois libre, elle gagnerait l’argent pour acheter sa libertĂ©. Cependant, l’es-
clave, une fois affranchie oublie sa promesse et va partager sa vie avec un autre
homme. Raimundo, abandonné par cette femme, la tue à la premiÚre occasion et
nit ses jours en prison (p.674).
L’acte de Raimundo dĂ©montre que les femmes esclaves Ă©taient plus vulnĂ©rables
que les hommes esclaves, car elles Ă©taient des corps appartenant aux autres.
D’abord à l’homme Blanc auquel elles devaient l’asservissement total (y compris
sexuel), ainsi qu’aux femmes Blanches, et ensuite à l’homme Noir. Illustrant cela
l’accent est mis dans le roman sur le sort de Raimundo, et nalement on ignore
mĂȘme le prĂ©nom de la femme qu’il a assassinĂ©e. Le crime d’honneur, commis
par Raimundo dans le récit, met en lumiÚre le fait que de nos jours, la culture de
la violence encore employée contre les femmes Noires, et par conséquent contre
leur statut social, est un hĂ©ritage historique d’un modĂšle esclavagiste et colo-
nial
12
. De ce fait les femmes Noires sont exposées à une plus grande vulnérabilité
12 Dans une enquĂȘte diffusĂ©e par l’IPEA – Instituto de Pesquisa Economica Aplicada (Institut de Recherche Éco-
nomique Apliquée), qui analyse la violence contre les femmes avec un accent mis sur la race, pendant la période
de 2001 Ă  2011, au BrĂ©sil, 50.000 femmes ont Ă©tĂ© victimes de crime de fĂ©minicide, c’est-Ă -dire d’homicides
pratiquĂ©s spĂ©ciquement parce qu’il s’agissait des femmes. Cela reprĂ©sente 5.664 femmes assassinĂ©es par an,
470 femmes tuĂ©es par mois, c’est-Ă -dire plus de 15 femmes tuĂ©es par jours, donc 1 femme tuĂ©e toutes les heures
et demi. Parmi ces féminicides, 60 % sont des femmes Noires, 39% des femmes Blanches et 1 % de femmes
Indiennes. Ces donnĂ©s alarmantes illustrent l’intersectionnalitĂ© entre sexisme et racisme dans la cartographie
de la violence contre les femmes, car les femmes Noires sont les principales victimes du phénomÚne de fémi-
nicide. Voir Ă  ce sujet Posenato Garcia, Rolim Santana de Freitas, Marques da Silva Drummond et Aparecida
Höfelmann (2015).
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en tant que victimes du sexisme dans son rapport intersectionnel au racisme, et
cela mĂȘme Ă  l’intĂ©rieur des couples interraciaux.
Selon l’historien Domingues (2003), dans le Mouvement Noir de la post-aboli-
tion, les hommes étaient majoritaires et étaient massivement prédominants aux
postes du pouvoir. Le FNB (Frente Negra Brasileira), le Front Noir Brésilien, le
plus important mouvement Noir de l’époque, Ă©ditait une section nommĂ©e «Sec-
tion Féminine» dans son journal A Voz da Raça, qui était consacrée à la mo-
délisation de la femme Noire, et façonnait une image ressemblant à la femme
Blanche de classe moyenne. Bien que la section féminine fût faite par et pour
les femmes, elles ne constituaient jamais le sujet central du journal. La section
a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e dans le but de changer l’image des femmes Noires, qui subissaient
les stéréotypes sexistes et racistes de femmes faciles, lascives, mauvaises mÚres,
car c’était majoritairement des mĂšres cĂ©libataires. Le journal enseignait Ă  ses
lectrices comment elles devaient se comporter, s’habiller et ĂȘtre de bonnes mĂ©-
nagĂšres pour pouvoir trouver un mari. Pour les hommes Noirs du mouvement,
le rĂŽle des femmes Noires Ă©tait celui de la bonne Ă©pouse, de la mĂšre au foyer qui
devait ĂȘtre protĂ©gĂ©e car elles Ă©taient le «sexe faible».
Contrairement Ă  cela, l’écrivaine montre d’autres paradigmes de la fĂ©minitĂ© en
accord avec les rÎles historiquement occupés par les femmes Noires brésiliennes.
Dans le roman, le rÎle de femmes Noires dans les sociétés esclavagistes, ra-
cistes et patriarcales, représenté par Kehinde, est le contre-modÚle du rÎle des
femmes Blanches, reprĂ©sentĂ© par sinhazinha Maria Clara, la lle du maĂźtre et de
la maßtresse. Malgré le fait que leur amitié perdure toute leur vie, en surmontant
les barriĂšres d’une sociĂ©tĂ© esclavagiste, sĂ©grĂ©gationniste, raciste et patriarcale,
les deux personnages sont dialectiquement opposĂ©s dans leur rĂŽle d’archĂ©type
socialement construit de la féminité. Le personnage de sinhazinha incarne le
stĂ©rĂ©otype de la femme Blanche bourgeoise reprĂ©sentant l’hĂ©roĂŻne chaste et ro-
mantique. D’une formidable beautĂ©, candide, sinhazinha est sensible, douce et
aimable avec les esclaves, ce qui est expliquĂ© par le fait qu’elle soit orpheline de
mĂšre, qui par ailleurs Ă©tait aussi aimable que sa lle. Sinhazinha Maria Clara se
marie par amour avec un homme qu’elle a pu connaütre et choisir comme mari
lors de son séjour éducatif au couvent (p.181). La féministe française Madeleine
Pelletier (2006, p.512), qui a beaucoup travaillĂ© sur l’éducation des jeunes lles,
constate que «la seule affaire pour une femme c’est d’ĂȘtre belle an d’ĂȘtre, un
jour, dĂ©sirĂ©e; que le seul rĂŽle de la femme est d’ĂȘtre Ă©pouse et mĂšre». Ainsi,
le personnage de sinhazinha démontre que les femmes Blanches de «bonne fa-
mille» Ă©taient destinĂ©es Ă  la sphĂšre privĂ©e de la maison. En effet, elles n’ont reçu
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qu’une faible Ă©ducation, juste sufsante pour gĂ©rer l’économie domestique du
foyer et pour bien se comporter en sociĂ©tĂ©. De mĂȘme, ces femmes ne travaillaient
pas, n’avaient aucun mĂ©tier et Ă©taient donc complĂštement dĂ©pendantes nanciĂš-
rement, soit de leur pĂšre/frĂšre, soit de leur mari.
Or, si le personnage de sinhazinha Maria Clara reproduit le stéréotype patriar-
cal des femmes Blanches riches enfermées dans la sphÚre privée du mariage,
comment Kehinde est-elle représentée? Est-il possible de rompre avec les para-
digmes stigmatisant de l’image des femmes Noires? Et de quelle façon? UDC
nous prĂ©sente l’esclave Lourenço, un bel homme sĂ©rieux, qui voulait se marier
avec Kehinde et fonder une famille libre, puisqu’il rĂȘvait de fuir l’esclavage et de
vivre dans un quilombo. Toutefois, malgré les qualités de Lourenço, sa relation
avec Kehinde s’établit «comme un remĂšde contre la douleur de n’avoir personne
et de ne pas avoir de liberté» (p.165). Le personnage de Kehinde rĂȘve d’ĂȘtre plus
qu’une femme mariĂ©e et une mĂšre de famille. Elle arrive donc Ă  la conclusion
«qu’elle voudrait fuir avec Lourenço, mais pas vivre avec lui pour toujours. Elle-
voudrait fuir avec lui, et aprĂšs s’enfuir loin de lui» (p.165). Selon Patricia Hill
Collins (2008, p.139), féministe africaine-américaine, les expériences particu-
liÚres des femmes Noires «stimulent une prise de conscience féministe et Noire
spĂ©cique». D’aprĂšs cette dĂ©î‚żnition, la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle, socio-Ă©conomique
et culturelle vécue par les femmes Noires, en tant que femmes et en tant que
Noires, les amĂšne potentiellement Ă  une prise de conscience de la discrimination
de «race», de classe et de genre. De plus, pour Hill Collins (2008), il est fonda-
mental de prendre en compte le point de vue des femmes Noires, situé dans leurs
expériences vécues, pour raconter leur propre histoire (p.142).
DÚs son retour en Afrique, Kehinde devient la «Brésilienne»
13
Dona Luisa, une
riche commerçante, membre de la communauté des esclaves retournéEs en
Afrique (les Aguda), ce qui signiait ĂȘtre vue comme une Blanche. Kehinde/
Dona Luisa se marie avec John, un homme métis, lui aussi commerçant et ils au-
ront des enfants jumeaux. Toutefois, malgré cette position sociale et ethnique pri-
vilĂ©giĂ©e, le personnage ne s’enferme pas dans les paradigmes d’une fĂ©minitĂ© fra-
gile créée pour les femmes Blanches. Kehinde/Dona Luisa demeure toute sa vie
une femme travailleuse, intelligente et indépendante qui refuse le rÎle sexiste de
13 L’usage du mot «BrĂ©siliennes/BrĂ©siliens» avec une majuscule et entre guillemets est employĂ© par l’anthropologue
Milton Guran (2010) pour indiquer qu’il s’agit d’un groupe ethnique composĂ© par des Africains et des Africai-
nes de descendance brĂ©silienne, diffĂ©rents des brĂ©siliens et brĂ©siliennes nĂ©s au BrĂ©sil. D’aprĂšs l’auteur, c’est la
façon dont les propres «Brésiliens/Brésiliennes» du Bénin écrivent leurs noms.
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dans Um Defeito De Cor d’ana maria GonçaLves
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mĂšre au foyer et donc d’épouse et mĂ©nagĂšre parfaite. Ainsi dans UDC, Gonçal-
ves illustre ce que dĂ©nonce Sueli Carneiro (2011), Ă  savoir, qu’en s’appropriant
l’essentialisme patriarcal de la culture Blanche, les hommes Noirs «oubliaient»
que les femmes Noires n’avaient jamais Ă©tĂ© le «sexe faible» puisqu’elles avaient
toujours été en dehors du foyer pour travailler ensemble et avec les hommes dans
les plantations ou pour travailler dans la rue comme vendeuses, prostituées, ou
comme domestiques ou nurses dans les familles Blanches, sans pouvoir s’oc-
cuper de leurs propres enfants et de leur foyer. Cet «oubli» sera aussi plus tard
partagé par les femmes Blanches dans le mouvement féministe qui a émergé au
Brésil dans les années 1970. Carneiro (2011), dans son article sur le besoin de
«noircir le fĂ©minisme», dĂ©montre la nĂ©cessitĂ© de mettre Ă  l’agenda du fĂ©minisme
au BrĂ©sil la question de l’oppression raciale comme pratique discriminatoire qui
fait que les femmes Noires se trouvent exclues de l’accĂšs Ă  l’éducation, relĂ©guĂ©es
aux emplois de domestiques, et victimes des programmes «de santé» de stérilisa-
tion forcĂ©e dans l’objectif d’exterminer la population Noire et pauvre. En outre,
d’aprĂšs Carneiro, pour changer cette rĂ©alitĂ©, il fallait aussi mettre la question du
genre à l’agenda des Mouvements Noirs.
Selon Sabine Masson (2005), les féministes brésiliennes de la classe moyenne
Blanche faisaient usage du privilĂšge Blanc car elles sont issues des groupes do-
minants et cela les empĂȘchaient de lutter pour les droits des femmes Noires,
qu’elles ne considĂ©raient pas comme leurs Ă©gales et qui souvent Ă©taient leurs
domestiques. Masson (2005) afrme que, les femmes Noires, Ă©tant niĂ©es par
le féminisme «occidental», leur premiÚre prise de conscience concerne souvent
la discrimination raciale. Cela signie que, dans des sociĂ©tĂ©s oĂč le racisme se
manifeste de maniÚre dissimulée, la rupture du silence à travers la dénonciation
sonne comme la revendication de l’identitĂ© Noire, qui s’avĂšre ĂȘtre pour beau-
coup de femmes leur premiùre prise de conscience de l’oppression. Jusqu’au
moment de son retour en Afrique, Kehinde apparaĂźt comme une femme Noire,
victime de la traite de l’Afrique vers le BrĂ©sil, qui a revendiquĂ© tout au long du
récit ses origines africaines, par la continuation de sa culture à travers le maintien
des traditions religieuses et par les luttes pour la liberté collective des esclaves.
C’est donc une rĂ©sistance inscrite dans le corps et la conscience du personnage
en tant qu’africaine, dans un monde hostile Ă  cette identitĂ© dans lequel il fallait
s’imposer.
En fait, la lutte contre le racisme et le sentiment de ne pas se reconnaĂźtre dans les
revendications des mouvements féministes Blancs font que beaucoup de femmes
Noires, (membres des associations de femmes actives autour des questions iden-
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titaires) et d’écrivaines afro-descendantes, qui utilisent l’écriture comme outil de
dĂ©nonciation et de revendications dans la lutte contre l’oppression du racisme, ne
se revendiquent pas fĂ©ministes alors qu’en pratique elles le sont (Masson, 2005).
De mĂȘme, Gonçalves se revendique et s’autoproclame «Noire et Ă©crivaine», sans
revendiquer explicitement une posture fĂ©ministe: «Ce livre, je trouve qu’il a fait
beaucoup plus pour ma vie que les trente-cinq annĂ©es que j’ai vĂ©cues avant lui.
Pour me dĂ©î‚żnir, m’identier, m’assumer en tant que noire, il a Ă©tĂ© fondamen-
tal» (Mucury, 2011, ma traduction). Issue de la classe moyenne, avec une mÚre
d’origine afro-descendante et un pùre Blanc avec des origines indienne, l’auteure
comme beaucoup d’autres afro-descendantEs brĂ©silienNEs, a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e dans un
paysage racial et social décrit par Carneiro (2011, mars) comme la douleur de la
couleur. D’aprĂšs Carneiro, cela signie que c’est dans l’expĂ©rience vĂ©cue de la
nĂ©gation de soi, de la nĂ©gation d’un corps gĂ© par le regard de l’autre qui impose
un stĂ©rĂ©otype d’infĂ©rioritĂ©, que l’individuE est obligĂ©E de trouver des stratĂ©gies
pour se construire autrement en tant que sujet ayant une nouvelle conscience. Ce
que conrme l’écrivaine Gonçalves: «Je me suis immĂ©diatement souvenue de
cela quand j’ai commencĂ© Ă  devenir Noire. Parce que oui, c’est une identitĂ© qui
ne vient pas facilement [
] et qui dĂ©pend beaucoup de la maniĂšre dont l’autre te
voit» (2011, ma traduction).
Nouveaux horizons de femmes Noires: De la mémoire individuelle à la mé-
moire collective
Selon Édouard Glissant (1997), dans le contexte antillais (parfaitement applicable
au brĂ©silien), les martiniquais souffrent d’un trouble de la conscience collective,
dĂ» Ă  une Histoire faite de ruptures. Cette conscience est troublĂ©e car elle n’a pas
de possibilitĂ© d’interprĂ©tation, de signication et d’articulation d’un continuum
entre le passĂ© historique et la contemporanĂ©itĂ©. D’aprĂšs Glissant, la Traite et
la domination ethnocentrique européenne ont provoqué dans la conscience des
NoirEs une rupture qui empĂȘche l’accumulation et la continuitĂ© des repĂšres his-
toriques et culturels. Ainsi, l’auteur (1997, pp.222-223) insiste sur les rîles de
l’Histoire et de la littĂ©rature comme bases universelles qui sont en rĂ©alitĂ© des
moyens d’oppression culturelle et politique. C’est sur ce point que raconter la
vie du personnage de Kehinde avec un rĂ©alisme ctionnel qui emploie des don-
nĂ©es historiques de l’Histoire des vaincuEs devient essentiel pour rompre avec
ce processus que Glissant (1997, pp.223-224) appelle non-histoire et rature de la
mémoire collective.
D’aprĂšs Maurice Halbwachs (1950, p.26), les individus gĂ©nĂšrent deux sortes de
mémoires, une interne autobiographique et une externe historique, autrement dit,
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KeHinde/dona Luisa/Luiza maHin: Les représentations des femmes noires brésiLiennes
dans Um Defeito De Cor d’ana maria GonçaLves
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une mĂ©moire personnelle et une autre mĂ©moire sociale dont «la premiĂšre s’aide-
rait de la seconde, puisque aprùs tout l’histoire de notre vie fait partie de l’histoire
en gĂ©nĂ©ral». C’est Ă  partir de cette optique que Kehinde/Dona Luisa, le person-
nage Ă©picentre du roman, a Ă©tĂ© crĂ©Ă©, Ă  partir d’un travail minutieux de recherche
dans les différentes sources primaires: journaux, magazines et comptes-rendus
de procĂšs de l’époque de l’esclavage. Le personnage de Kehinde constitue ainsi
un recueil de souvenirs de plusieurs femmes Noires, esclaves ou affranchies,
qui guraient dans les archives juridiques et clĂ©ricales jusqu’à la n du XIX
Ăšme
siÚcle. Bien que Gonçalves ait aussi utilisé dans son processus créateur une vaste
bibliographie des champs des Ă©tudes historiques, sociologiques, culturelles et
politiques, cette bibliographie est citĂ©e Ă  la n du roman avec une remarque bien
prĂ©cise aux lecteurs dans laquelle elle afrme que l’Ɠuvre «mĂ©lange ction et
réalité. Pour des informations plus exactes et complÚtes sur les thÚmes traités, je
vous suggĂšre les lectures suivantes» (p.947, c’est moi qui souligne). Selon Paul
Gilroy (2010, pp.85-86), l’auteur rĂ©alise donc «un travail rĂ©ciproque qui s’établit
entre la littĂ©rature et les sciences humaines: travail des sciences sociales Ă  l’intĂ©-
rieur du texte littĂ©raire; travail en retour, du littĂ©raire sur les cadres de l’histoire
et de la politique».
Dans le chapitre intitulĂ© «Le voyage», l’histoire de la vie de Kehinde prend une
amplitude collective avec la vie d’autres africainNEs obligĂ©Es de monter sur un
navire vers un destin inconnu et avilissant, ne pouvant amener avec eux que leur
corps, leur mĂ©moire et leur sentiment de dĂ©tresse. La mort de la sƓur et de la
grand-mÚre de Kehinde au cours du voyage, est partagée et vécue par les autre
InconuEs qui feront la traversĂ©e dans le mĂȘme navire, avec la petite lle, et qui,
pour des multiples raisons comme la maltraitance, la famine, la maladie, le sui-
cide, n’arriveront pas Ă  survivre aux conditions affreuses du voyage. Le rĂ©cit de
cette traversĂ©e Ă  bord du navire constitue jusqu’à prĂ©sent, dans l’historiographie
littéraire brésilienne, le plus important registre, voire le seul, de la mémoire de la
traite de l’esclavage:
La chaleur et l’odeur forte de la sueur et des excrĂ©ments mĂ©lan-
gĂ©e Ă  l’odeur de la mort, pas encore Ă  celui du corps mort, mais
de la mort en elle-mĂȘme, faisaient que tout Ă©tait calme, comme
si l’air prenait du poids, exerçant une pression sur nous. Nous
Ă©tions tous trop faibles car c’était le dĂ©but du quatriĂšme jour sans
manger. (p.51)
C’est la premiĂšre fois qu’unE Ă©crivainNE brĂ©silienNE utilise la ction pour en-
registrer le passage des futurs esclaves de l’Afrique vers ce qui allait devenir leur
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nouveau monde. De plus, le tĂ©moignage de Kehinde rĂ©vĂšle l’humanisme et la
sensibilité, la souffrance et le trauma des hommes et des femmes dans un navire
vers un inconnu nĂ©faste, en mĂȘme temps qu’il atteste d’un travail accompli avec
beaucoup de précisions et de données historiques, sur le fonctionnement de la
domination du systĂšme esclavagiste:
Peut-ĂȘtre nous ont-ils laissĂ©s autant de jours sans manger pour
que, mĂȘme en colĂšre, nous restions suffisamment faibles pour
ne pas rĂ©agir. Nous Ă©tions trop affamĂ©s pour provoquer n’importe
quel problĂšme qui retarderait encore plus la distribution de la
nourriture. (p.51)
Ainsi, on voit que le roman fait un grand effort pour combler les nombreux vides
prĂ©mĂ©ditĂ©s de l’Histoire et pour s’approprier la parole et la montrer autrement.
Le roman est donc le rĂ©sultat d’un dĂ©vouement qui tĂ©moigne d’un engagement
vis-Ă -vis d’une responsabilitĂ© historique.
L’Histoire ofcielle, racontĂ©e aussi dans UDC, atteste que la RĂ©volte de MalĂȘs
Ă©choue car elle a Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©e trois fois. D’abord par l’affranchi Domingos Fur-
tado Ă  son ancien maĂźtre, puis par sa femme Guilhermina de Souza Ă©galement
auprĂšs de son ancien maĂźtre. Enn, Sabina da Cruz, une femme qui voulait Ă©viter
la participation de son mari, Vitorio Sule l’un des participants de la rĂ©bellion,
raconte les dĂ©tails de l’organisation de la RĂ©volte Ă  Guilhermina, qui Ă  nouveau
dénonce les faits à son voisin, chez qui se retrouvaient des amis du juge de la
paix (Reis, 2003). Ainsi, la plus grande insurrection des africainNEs esclaviséE
a été violemment réprimée, et les NoirEs musulmanEs affranchiEs ainsi que les
esclaves rĂ©cemment arrivĂ©s d’Afrique ont Ă©tĂ© massivement expulsĂ©Es du BrĂ©-
sil. Dans UDC, cette défaite responsable de la mort de plusieurs personnages (y
compris Fatumbi, l’esclave muçurumin qui l’a appris à lire), marque la n d’une
pĂ©riode pour le personnage de Kehinde, qui est obligĂ©e de perdre son rĂȘve de la
liberté pour tous les esclaves. Aussi, à cause du risque de la condamnation à mort,
de la prison, des chùtiments corporels et de la déportation forcée en Afrique, elle
est obligĂ©e de se cacher et de se sĂ©parer de ses amiEs et de son ls. C’est Ă  ce
moment-là que l’enfant est vendu comme esclave par son pùre.
Malgré tout cela, le personnage de Kehinde humanise Sabina, au lieu de la clas-
ser parmi les traĂźtres. Kehinde essaye de comprendre la raison de ses actions,
prenant en compte le contexte esclavagiste de l’époque (auparavant dĂ©jĂ  citĂ©),
qui rend encore difcile, de nos jours, l’accùs au mariage, à un conjoint, aux
femmes Noires:
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Sabina n’avait pas aucune idĂ©e de la grandeur des objectifs de
la rĂ©bellion, mais malgrĂ© tout je la comprenais. Ce qu’elle vou-
lait c’était garder prĂšs d’elle son homme, le pĂšre de ses enfants,
puisque participer aux rĂ©bellions impliquait ĂȘtre prĂȘt Ă  tuer ou
Ă  mourir. Ce n’était pas facile de fonder une famille et elle Ă©tait
prĂȘte Ă  tout pour prĂ©server la sienne. (p.539)
En prenant la parole, pour rendre audibles les voix subalternes (Spivak, 2009),
le roman UDC met en lumiÚre, sur plusieurs plans, la vie des différentes femmes
Noires, issues de la diaspora transatlantique et représentées dans le récit. A tra-
vers les dialogues entre la rĂ©alitĂ© et la ction, l’histoire de ces femmes croise le
chemin de la vie de Kehinde. Les nombreux personnages féminins du roman té-
moignent aussi de la vie de plusieurs femmes Noires marquées par la violence de
la Traite, le travail forcĂ© de l’esclavage, le chĂątiment corporel, le viol, l’exploita-
tion sexuelle, la souffrance de la maternitĂ© esclave liĂ©e Ă  l’infanticide, Ă  l’aban-
don forcĂ© de ses enfants et au suicide comme opposition consciente Ă  l’esclavage.
MalgrĂ© toutes ces horreurs qui attestent de la violence de l’esclavage, exercĂ©e ici
plus spĂ©ciquement sur les corps de femmes Noires, il y a dans le roman d’autres
mémoires, comme celle de la révolte, de quilombos (espaces de marronage et de
libertĂ© Ă  l’intĂ©rieur du systĂšme esclavagiste), de la joie, du travail servile et libre
des NoirEs en tant que responsable du progrĂšs Ă©conomique, de la richesse de
l’Afrique, de la famille esclave et des relations d’amitiĂ©, d’amour (mais aussi des
différences et désunions entre les NoirEs) et surtout des religions et des traditions
culturelles africaines et afro-brésiliennes. Les femmes Noires sont montrées dans
le contexte brĂ©silien comme des actrices de l’Histoire collective et de leur propre
histoire individuelle, jouant un rĂŽle politiquement constructif pour leurs vies,
dans les senzalas (cases des esclaves), par leur travail dans la rue et dans les
confrĂ©ries en tant que prĂȘtresses. ParallĂšlement, avec de rares exceptions, cer-
taines femmes Blanches apparaissent aussi comme des actrices de leurs vies, Ă 
l’instar du personnage de Carolina, la lle aĂźnĂ©e de sinhazinha Maria Clara, qui
refuse le mariage (p.700) et part Ă©tudier les Beaux-Arts Ă  Paris (p.726).
En effet, les personnages des femmes Noires occupent une place centrale dans
le roman et elles construisent dans la plupart des cas de rapports de sororité
entre elles, Ă  l’exception de la sinhazinha Maria Clara, l’éternelle amie Blanche
de Kehinde. De ce fait, leurs rÎles restent assez essentialisés et racisés, enfer-
més dans les représentations de maternité et de mariage (sphÚre privée) pour les
femmes Blanches, contre le concubinage et le travail (sphĂšre publique) pour les
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femmes Noires. Pour les unes comme pour les autres, la religion constitue le seul
repĂšre en dehors d’une normativitĂ© due Ă  leur genre et leur «race». Cependant,
Kehinde est l’exception et nĂ©gocie constamment le statut social de son genre.
Elle participe, mĂȘme si elle n’a pas un rĂŽle principal, aux questions politiques et
rationnelles parmi les hommes. Elle collabore aussi aux questions Ă  priori spi-
rituelles et subjectives parmi les femmes, questions qui en réalité aboutissent à
des ns politiques. En tant qu’esclave ou affranchie, le personnage fera partie de
diverses associations, ayant pour objectif de préserver la mémoire et les origines
africaines, en opposition au systÚme esclavagiste. La religiosité est considérée
dans le rĂ©cit surtout comme un domaine d’organisation collective du pouvoir
féminin.
Dans la section intitulĂ©e «As irmandades» «ce qui signie confrĂ©ries, mais qui
peut aussi ĂȘtre appelĂ© association, coopĂ©rative ou sociĂ©té» (p.296), le personnage
de Kehinde connaßt la Barroquinha. Cette coopérative, habitée par une trentaine
des femmes Noires et d’enfants Noirs, fonctionnait comme une sociĂ©tĂ© d’en-
traide oĂč les membres contribuaient par un don sous forme de bijoux Ă  leur ad-
mission et par un paiement mensuel dans le but d’accumuler de l’argent pour
payer son propre affranchissement. La Barroquinha était une coopérative qui
donnait la prĂ©fĂ©rence aux femmes car d’aprĂšs le roman, il avait beaucoup de
confrĂ©ries composĂ©es d’un grand nombre d’hommes, et les femmes avaient des
besoins spĂ©ciques comme l’affranchissement de leurs enfants. Selon JoĂŁo JosĂ©
Reis (1992, p.18):
La confrĂ©rie reprĂ©sentait pour les Noirs un espace d’autonomie
– bien que relative – oĂč se construisaient par le biais des fĂȘtes,
des assemblĂ©es, des enterrements et de l’assistance mutuelle,
des identités sociales significatives, dans un monde oppressif
et incertain. La confrĂ©rie Ă©tait une espĂšce de famille rituelle oĂč
les Africains déracinés vivaient et mouraient dans la solidarité.
Conçue par les Blancs comme un instrument de domestication
de l’esprit africain, elle devint un mĂ©canisme d’africanisation de
la religion des maĂźtres.
Kehinde aura une longue pĂ©riode de pĂ©rĂ©grination oĂč les Ă©vĂ©nements vont ĂȘtre
constamment attachés au mysticisme religieux. Cette période de voyages dans
presque tout le BrĂ©sil sera un moment d’initiation religieuse aux divers cultes
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d’origine africaine, telles que le candomblĂ©
14
. Les diverses confréries et terrei-
ros (lieux de culte), auxquels Kehinde rend visite ou dont elle fera partie en
tant qu’apprentie, seront presque majoritairement commandĂ©es ou composĂ©es
par des femmes Noires et souvent des femmes sans hommes. C’est le cas de la
Nossa Senhora da Boa Morte – irmandade religieuse afro-catholique (p.608) et
de la Casa das Minas
15
– terreiro dĂ©diĂ© Ă  la formation des vodunsi (prĂȘtresses)
pour le rituel du culte du vaudou (p.595). Dans cet endroit mystique, Kehinde co-
habite avec vingt femmes en participant Ă  l’organisation des activitĂ©s religieuses
secrĂštes. Elle accomplira la moitiĂ© de sa formation de vodunsi, jusqu’à ce qu’elle
dĂ©couvre que ce n’était pas sa mission.
Toutefois, ce passage de Kehinde par la Casa das Minas, a une signication trùs
importante dans le rĂ©cit parce qu’il anticipe son retour en Afrique et aux origines
du vaudou qui représentent le lien avec sa grand-mÚre. La foi religieuse est donc
fondamentalement dans le récit car elle constitue un pouvoir transmis dans la
matrilinéarité. Etant donné que la religion tient une place importante et traverse
le personnage central de Kehinde ainsi que tous les autres, par différents rites,
pratiques et croyances religieuses, on trouve tout au long du récit des explica-
tions minutieuses par rapport à chacune de ces pratiques. On voit la volonté de
l’auteure Ana Maria Gonçalves d’expliquer et de dĂ©construire les stĂ©rĂ©otypes de
la sauvagerie primitive, de la diabolisation ou de la théùtralisation portés sur les
cultes religieux d’origine africaine, construits par les religions chrĂ©tiennes dans
14 Le candomblĂ© est une religion d’origine africaine qui s’organise autour du culte des orixĂ s, divinitĂ©s intermĂ©-
diaires entre un dieu suprĂȘme (Olorun) et les hommes. L’incorporation d’une divinitĂ© dans l’initiĂ©, rituellement
préparé à la recevoir, représente le moment culminant du culte. Le terme candomblé indique également le lieu
de culte, aussi appelé terreiro. Les cérémonies du candomblé ont pour principal objectif le contact avec les
orixĂĄs, qui prennent possession du corps des initiĂ©s ou lhos-de-santo. Ces divinitĂ©s d’origine yoruba reprĂ©-
sentent des forces de la nature (le vent, l’eau, les Ă©clairs
), des activitĂ©s sociales comme la chasse et la guerre,
ou bien des maladies comme la variole. Les orixås trouvÚrent leur place au Brésil par le syncrétisme avec les
saints catholiques dans le contexte colonial. Voir Ă  ce sujet Bastide (2000, 1995), Lopes (2008) et Verger (1982).
15 Cette période de formation sur le rituel du vaudou met surtout en évidence cet endroit qui, de nos jours, est en
voie de disparition, sans que son histoire, liĂ©e Ă  un passĂ© ancestral en commun avec l’actuel BĂ©nin, soit connue
de la majorité de la population. Selon Sergio Ferreti (2003), la Casa das Minas a été fondée, au début du XIX
Ăšme
siÚcle. Elle est considérée comme la maison précurseure du culte du tambor: «Culte qui se caractérise comme
une religion de transe ou de possession, dans laquelle les entités sont adorées et incorporent les participantes,
principalement les femmes et surtout pendant les fĂȘtes, avec les chants et les danses exĂ©cutĂ©s par les tambours
ou instruments. D’oĂč le terme tambor, par lequel sont aussi dĂ©signĂ©s de tels cultes» (Ferreti, 2003, p.9). Selon
Verger (1952), le culte du vaudou de la Casa das Minas aurait Ă©tĂ© introduit au BrĂ©sil par la Na AgontimĂ©, l’une
des Ă©pouses du roi Agonglo et mĂšre du roi Guezo (1818-1858), qui, aprĂšs l’assassinat de son mari,
fut vendue
comme esclave par le roi Adandozan. Selon l’auteur, les registres montrent que le roi Guezo a envoyĂ© plusieurs
expéditions au Brésil et à Cuba à la recherche de sa mÚre sans avoir de succÚs. Toutefois, dans la Casa das Mi-
nas, le chef vaudou est ZomadÎnu, une divinité du culte de la famille royale de la reine mÚre de Guezo. Comme
les vaudous sont des entitĂ©s ancestrales de la famille, c’est ainsi que Pierre Verger a dĂ©couvert que la Noche Nae,
prĂȘtresse fondatrice de la Casa das Minas, Ă©tait AgontimĂ©, la reine victime de la traite.
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le passĂ© colonial et qui perdurent de nos jours dans l’ensemble de l’imaginaire
collectif de la population. D’aprĂšs Roger Bastide (2000, p.36) «la philosophie du
candomblĂ© n’est pas une philosophie barbare, mais une pensĂ©e subtile, qui n’a
pas encore été déchiffrée».
Selon Halbwachs (1950, p.28), «chaque mémoire individuelle est un point de
vue sur la mĂ©moire collective, que ce point de vue change suivant la place que j’y
occupe, et que cette place elle-mĂȘme change suivant les relations que j’entretiens
avec d’autres milieux». Ainsi, les personnages des femmes Noires qui gurent
dans le récit de Gonçalves sont indispensables pour la (re)construction positives
de l’image des femmes Noires brĂ©siliennes. Kehinde, Dona Luisa ou encore la
gure mythique de Luiza Mahin sont toutes, à la fois une seule femme et les dif-
fĂ©rentes versions de multiples femmes. En vĂ©ritĂ©, d’aprĂšs Gonçalves (in Mucury,
2011), il s’agit d’une version d’une histoire qui n’a pas Ă©tĂ© racontĂ©e, Ă  cause des
invisibilisations et des «oublis» d’une historiographie ofcielle, ou qui est restĂ©e
enfermée dans un cercle restreint de connaissance ; sans doute y aura-t-il à partir
de maintenant de nouvelles interprétations.
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